C’est un miracle.
Le centre historique de Mossoul a été labouré
par les frappes, tailladé par les balles,
amputé à l’explosif par l’État islamique (EI ou Daech).
Dans ce paysage surréaliste,
où les pierres blanches et le métal noir
entremêlés rappellent
le Guernica de Picasso,
un bâtiment aux murs épais
n’a que quelques éraflures
l’église Saint-Thomas,
la doyenne des églises de la ville,
vieille de plus de douze siècles !
Elle existait au moins dès la fin
du VIIIe siècle,
mais elle est réputée beaucoup
plus ancienne et aurait été fondée
sur le site de la maison que l’apôtre
de l’Orient a habitée lors de
son passage dans la ville.
L’intérieur a été ravagé par l’occupant
qui en avait fait une base
militaire. Mais le monument,
dont la structure date
au moins du XIIIe siècle,
a survécu à la bataille.
« Ils sont devenus fous »
La mosquée al-Nouri, deux rues plus au nord,
n’a pas eu cette chance. Les terroristes de l’EI
l’ont dynamitée mercredi 21 juin,
en début de soirée.
Ses ruines forment désormais
un chaos lunaire, blanchi par le plâtre pulvérisé.
Seuls surnagent son dôme vert, en équilibre
sur des piliers en partie éclatés
par les explosions, et plus loin
la base du minaret,
haute de 12 mètres, aux bas-reliefs
géométriques finement sculptés.
Depuis, le lieutenant-colonel
Mountazar el-Chammari,
chef du bataillon de Mossoul des Forces
d’opérations spéciales irakiennes
(ISOF en anglais), ne décolère pas :
« Ils sont devenus fous, se lamente-t-il.
« Ils ont détruit la mosquée
du prophète Jonas, celle du prophète Jirjis,
la cité de Nimroud, le musée !
» La deuxième ville d’Irak y a perdu ses emblèmes,
en particulier le minaret penché d’al-Nouri,
dit al-Hadba (la « Bossue »).
Amère revanche, leurs décombres ont été repris
ce jeudi 29 juin, permettant
au Premier ministre irakien,
Haïder al-Abadi, de déclarer
la « fin du faux État de Daech ».
Saint-Thomas était sur le chemin d’al-Nouri.
Mercredi 21,peu avant l’explosion
qui a quasiment totalement détruit la mosquée,
le bataillon de Diwaniya des ISOF
remontait à pied une rue dominée
par la tour carrée d’un clocher.
Un sniper se tenait sur une maison
face à l’église : « Il a tué l’un des nôtres »,
raconte Ahmad Kathem, 23 ans,
l’un des soldats du bataillon.
La maison a été visée par une frappe.
Il n’en reste rien.
« Abou Abderrahman al-Australi »
Le soldat Ahmad force une porte en fer
pour montrer l’intérieur
de l’église. En comparaison de ses abords défoncés
par les bombes,
les stigmates de l’édifice chrétien
ne sont que des égratignures.
La cour par laquelle entre Ahmad est
encombrée de pierres
et de déchets, mais les colonnes
des arcades qui la cernent
sont intactes. Sur un bas-relief,
saint Thomas touche les plaies
du Christ.
Leurs visages sont superficiellement burinés.
À côté, un homme pourrit sous un tas d’ordures.
Au milieu d’une courette adjacente,
un second macchabée empeste,
obèse avec une épaisse barbe noire,
les yeux exorbités et gonflés.
Son visage a été écrasé à coups de botte,
projetant sur le sol autour
de son crâne des éclaboussures
qui forment une couronne.
Derrière lui, des bidons et des sacs de grains
sont tout ce qui reste
des stocks des terroristes.
Une pièce est encore remplie
de vestes militaires et de chargeurs d’AK-47.
À l’intérieur, un bombardement a percé
la voûte de la nef principale.
Un rai de lumière tombe sur les dévastations.
Les bancs ont été brûlés.
Sous sa voûte crénelée, l’autel est en miettes.
Heureusement, les reliques de saint Thomas
avaient été transportées au monastère Saint-Matthieu
(Mar Matta) il y a trois ans, quand Mossoul
était tombée aux mains de Daech.
Les combattants de l’EI ont peint
des ronds noirs sur ses épaisses colonnes
de marbre noirâtre, sans doute en préparation
de sa destruction.
Ils n’auront pas eu le temps ou les moyens d’y
placer leurs explosifs.
Les murs sont couverts de graffitis de drapeaux
de l’organisation dans les petites niches ogivales.
Sous l’un d’eux, un papier rose placardé liste les distributions
de rations. « Abou Abderrahman al-Australi »,
un combattant venu d’Australie, a même signé
son passage d’un tag en lettres romaines.